Le gouvernement a engagé une révision du dégel du corps électoral en fixant la durée de résidence à 10 ans glissants. Cette modification qui, si elle est saluée comme étant un bon début, conserve dans l'article premier du projet de loi constitutionnelle, la forme restreinte initiale de l'Accord de Nouméa, car tant que les consultations n'auront pas abouti à la nouvelle organisation politique proposée, l'organisation politique mise en place par l'accord de 1998 restera en vigueur, à son dernier stade d'évolution, sans possibilité de retour en arrière, cette "irréversibilité" étant constitutionnellement garantie. (arrêt de la cour de cassation du 09-11-2023 en pièce jointe). Le dégel à 10 ans glissants est la seule option pour le moment.

L'article 2 du projet de loi constitutionnelle mentionne que l'article premier n'entre pas en vigueur ou devient caduc s'il est constaté qu'un accord portant sur l'évolution politique et institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie a été conclu au plus tard dix  jours avant la date des élections provinciales.

Il sera alors possible dans ce nouvel accord d'apporter des modifications plus significatives des conditions pour être inscrit sur la liste électorale à l'élection du congrès et des assemblées de province de Nouvelle-Calédonie, dont voici nos propositions que nous aimerions vous transmettre quelques jours avant la discussion en séance publique du 13 mai, afin de vous démontrer que le dégel à 10 ans glissants est une évidence en attendant le nouveau statut :

1.      Que le futur statut de la Nouvelle-Calédonie dispose d'une liste électorale unique pour toutes les élections de personnes, la liste générale, selon l'article L-11 du code électoral (inscription après 6 mois de résidence dans sa commune), pour revenir au suffrage universel non restreint comme le prévoit notre Constitution, et par conséquent pour participer aux élections provinciales et du congrès. 

2.      De dissocier la citoyenneté calédonienne du droit de vote aux élections provinciales comme le souhaite la population calédonienne qui selon l'étude de l'Institut Quid Novi réalisée en 2021 s’est exprimée ainsi :

62% des sondés pensent que "tout le monde doit voter aux  élections provinciales" dont 53% chez les partisans de l'indépendance. Par contre 35% seulement des sondés sont favorables à "une citoyenneté calédonienne ouverte à tous", alors que la loi en vigueur associe la citoyenneté calédonienne aux électeurs inscrits sur la liste électorale spéciale aux élections provinciales (LESP). 76 % des sondés estiment que "tout le monde doit avoir les mêmes droits et devoirs" dont 67% des partisans de l'indépendance.

Sondage commandé par l'État et toujours disponible sur le site du Haut-commissariat de la République en Nouvelle-Calédonie :  https://www.nouvelle-caledonie.gouv.fr/Publications/Contributions-a-la-consultation-de-la-societe-civile-sur-l-avenir-institutionnel/La-demarche-d-ecoute-profonde

3.      Que dans le futur statut institutionnel, la citoyenneté calédonienne soit associée à la liste électorale spéciale de consultation (LESC) acquise après un nombre d'années de résidence à définir et d'intérêts moraux et matériels, afin de participer à d'éventuelles prochaines consultations sur l'autodétermination, le droit coutumier. 

Ces propositions permettraient à tous les citoyens français résidant en Nouvelle-Calédonie de participer aux élections provinciales pour élire leurs représentants et de leur offrir le choix de devenir citoyen calédonien après un certain nombre d'années de résidence en Nouvelle-Calédonie, sans pour autant déroger à l'article 14 de la DDHC de 1789 (consentement à l'impôt) et l'article 3 de notre Constitution, tout en prenant en compte la revendication d'autodétermination également inscrite dans notre Constitution.

En cas d’accession à la pleine souveraineté, cette citoyenneté se transformerait en nationalité du nouveau pays, selon l'esprit de l'Accord de Nouméa.

L'obtention de la citoyenneté calédonienne en cas d'accès à la pleine souveraineté, imposera à l'État de bien expliquer aux citoyens calédoniens et à leurs enfants le risque de perdre la nationalité française (Code civil, art.32-3).

Dans le projet de loi constitutionnelle, le dégel du corps électoral revient à sa forme restreinte votée en 1998, c'est à dire 10 ans glissants de résidence pour être inscrit sur la LESP, qu'il sera difficile de proroger dans le nouveau statut :

En 1999, le Conseil Constitutionnel avait toléré les dérogations aux règles et principes de valeur constitutionnelle de l'Accord de Nouméa que dans la mesure strictement nécessaire à la mise en œuvre de l'Accord, notamment les 10 ans glissants et la citoyenneté néo-calédonienne.

Il convient également de rappeler que la Cour Européenne des Droits de l’Homme avait accepté le 11/01/2005 un corps électoral GLISSANT, et non gelé, de dix années de résidence parce que transitoire.

Or, dans le futur statut,  il n'y aura plus de caractère transitoire, il s'agira d'une loi non limitée dans le temps, à caractère pérenne s'appliquant sur un territoire français à des citoyens français.

Le professeur Ferdinand Mélin-Soucramanien, professeur agrégé de droit public, à la demande du premier ministre, a présenté en novembre 2013 un rapport intitulé : Réflexions sur l’avenir institutionnel sur la Nouvelle-Calédonie, où il explique à la page 45 :

 "Tout le dispositif devrait être remis à plat puisque sa conformité à la Constitution et aux règles du droit international et européen a été expressément conditionnée à son caractère transitoire tant par le Conseil constitutionnel que par la Cour européenne des droits de l’homme. Les portes de sortie seraient alors peu nombreuses. À vrai dire, nous n’en voyons que deux qui, l’une et l’autre, nécessitent une révision de la Constitution de la République française :

– La première serait de rétablir l’universalité du suffrage en Nouvelle-Calédonie pour tous les scrutins. Juridiquement, cette solution serait la plus satisfaisante.

En revanche, la question se poserait de savoir si, politiquement, elle serait sérieusement envisageable.

– La seconde représenterait l’option inverse. Elle consisterait à réviser la Constitution pour inscrire dans le marbre constitutionnel les dérogations à l’universalisme du suffrage actuellement prévues à titre temporaire.

Cette cristallisation du droit transitoire serait à la limite concevable politiquement.

 En revanche, juridiquement, cette solution ne tiendrait pas.

La Cour européenne des droits de l’homme condamnerait la France au vu de sa jurisprudence constante.

Quant au Conseil constitutionnel, même si jusqu’à présent il ne s’est pas autorisé à contrôler la conformité des lois de révision constitutionnelle par rapport à la Constitution elle-même, il est probable que, face à une rupture si grave du pacte démocratique, il pourrait élever le niveau de son contrôle et censurer l’éventuel texte.

En d’autres termes, sur ce point, la pérennisation du statut actuel pourrait s’avérer extrêmement problématique." (fin de citation).

 

Le 29 juin 2022, Olivier Gohin, professeur de droit public à l'université Paris - Panthéon-Assas a déclaré lors dune session extraordinaire au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer : ( page 25 du rapport d'information n°789 au Sénat).

" À propos de l'ethnicité, le ver est dans le fruit de l'accord de Nouméa , puisque la construction du suffrage restreint était basée sur des considérations ethniques et a introduit le communautarisme dans le droit public français - il n'y a pas de quoi s'en réjouir ! Je suis étonné par le discours ambiant en faveur de cet accord. J'ai entendu les termes de « décolonisation », « pouvoir législatif », « peuple »... Il y a là matière à discussion. La révision constitutionnelle à venir va mettre fin à l'Accord de Nouméa et elle devra tenir compte des référendums en faveur du maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la République.

Il faudra donc rétablir le suffrage universel : comment rester dans la République sans cette condition républicaine de la citoyenneté ?

 On parle de « référendum de projet », comme on avait inventé le « référendum-couperet », en 1998. Mais, ces qualificatifs sont dépourvus de base constitutionnelle.

Même l'expression de « peuples et territoires d'outre-mer » n'était pas applicable à Mayotte en 2000, sur le fondement de l'alinéa 2 du Préambule de la Constitution de 1958.

À mon sens, la révision constitutionnelle devra donc bien comprendre le rétablissement du suffrage universel, parce que c'est la volonté des populations de la Nouvelle-Calédonie que de rester dans l'ensemble français, et qu'on n'est pas dans la France à n'importe quelles conditions.

Et il faudra sans doute revoir le statut, ou au moins certains de ses éléments. Les lois du pays peuvent demeurer si ce sont formellement des actes administratifs comme les lois du pays polynésiennes, et pourvu qu'on ne les assimile pas à une législation nationale, ce qui aboutirait à une fédéralisation de la France." (fin de citation).

Dans un document intitulé "Discussions sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, les conséquences du OUI et du NON", que le ministère des Outre-mer a publié en 2021 comme une contribution à la préparation des débats au Parlement, il est indiqué à la page 50 :

" Parce qu’elle porte atteinte aux principes constitutionnels d’universalité et d’égalité du suffrage

mais aussi au principe du consentement des citoyens à l’impôt consacré par la Déclaration des

droits de l’homme de 1789, la restriction du corps électoral pour les élections aux provinces et au

congrès n’est valide sur le plan juridique qu’en raison de son inscription dans la Constitution dans

le cadre des dispositions transitoires de son titre XIII. C’est pourquoi une telle restriction ne peut

s’envisager dans la durée." (fin de citation).

Nous en concluons que si le corps électoral restreint devait être reconduit dans le nouveau statut de façon pérenne, malgré toutes les réflexions et les rapports cités précédemment , il faudrait, pour respecter l'Etat de Droit, modifier l'article 4 de la loi 83-676 du 26 juillet 1983 relative à la convention fiscale entre le gouvernement français et la Nouvelle-Calédonie, comme ceci  :  

- Les citoyens français exclus des listes électorales provinciales ne pouvant pas choisir  leurs représentants au Congrès sont considérés comme des résidents de la France au sens de l'article 3)1)a) de la dite convention.

- Dès lors que ces citoyens français pourront élire leurs conseillers des Provinces et du Congrès, ils seront considérés comme des résidents de la Nouvelle-Calédonie au sens de l'article 3)1)a) de la dite convention.

Ainsi  l'article 14, relatif au principe du consentement à l’impôt de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, qui, selon les décisions du conseil constitutionnel n os71-44 DC du 16 juillet 1971 et 73-51 DC du 27 décembre 1973  et n° 81-132 DC du 16 janvier 1982  affirmant que les droits et principes définis en 1789 ont « pleine valeur constitutionnelle », serait respecté.

 

Dans le cas contraire, les citoyens français à qui l'on refuse de choisir leurs représentants au Congrès de Nouvelle-Calédonie, territoire français, n'auraient plus le droit de constater par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique néo-calédonienne, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée, et par conséquent, pourraient ne plus y consentir, selon les termes de l'article 14 de la DDHC de 1789.

 

Si  les élections provinciales et du congrès étaient organisées au suffrage universel non restreint dans le nouveau statut comme indiquées dans nos trois propositions, elles permettraient à tous les citoyens français résidant en Nouvelle-Calédonie d'élire leurs représentants et de leur offrir le choix de devenir citoyen calédonien après un certain nombre d'années de résidence en Nouvelle-Calédonie, tout  en respectant l'article 14 de la DDHC de 1789 (consentement à l'impôt) et l'article 3 de notre Constitution.